Pré-rentrée
Et voilà. C'est reparti pour un tour. Une nouvelle année de boulot avec son lot de bonnes et mauvaises surprises.
Pour aujourd'hui, je ne retiendrai qu'une seule chose. Le sèche main des toilettes de la salle des profs a disparu ! A la place trône un distributeur de papier. Ce qui me révolte ? Ce n'est pas la question de l'écologie (encore que), ni la question de la praticité (on connaît tous ces espèces de lambeaux de papiers qui ne se déroulent pas quand nos mains sont mouillées, et l'heureux procédé qui consiste à l'attraper délicatement selon une droite parallèle à ladite machine...). Non ! Ce qui m'insurge, me laisse sans voix, me sidère totalement, c'est l'absence de compassion de celui qui a installé cet instrument de torture ! Alors, certes, il a cru bien faire, il s'est sans doute dit que c'était moins bruyant, que ça consommait moins d'énergie (j'en doute)... mais il n'a pas pris en considération l'aspect technique certes marginal MAIS essentiel du souffleur de toilettes : où est-ce que je vais pouvoir sécher les auréoles de stress sur mes tee shirts à l'inter-saison ??
Ô rage, ô désespoir, ô réoles ennemies...
On a tous eu ce prof qui dégoulinait sous sa chemise ! Duquel nous avons ri en cachette ! Qu'à cela ne tienne : j'ose le clamer ! Ce n'est pas l'apanage des gens qui transpirent fortement ! Le stress de se retrouver devant une classe entière de 28 paires d'yeux braqués sur vous, ça filerait un coup de chaud à n'importe qui !! Et qui avait trouvé une technique infaillible et révolutionnaire qui évitait de se prendre trois tee-shirts de rechange ? MOI !
J'exige qu'on nous réinstalle le souffleur. Sinon je fais grève.
Accessoirement, j'envisage sérieusement de ranger un sèche-cheveux dans mon casier. Au cas où.
Un choeur qui bat
Ce soir a eu lieu le traditionnel concert de fin d'année de la chorale et de l'orchestre.
Les élèves chantent et jouent pendant près de deux heures un répertoire aussi divers que génial.
Il y a quelque chose en moi qui tient de la groupie hystérique lorsque je repère mes élèves avant que la baguette de la cheffe d'orchestre ne se lève. Quelque chose de la mère attendrie lorsque glissent les premiers archers sur les violons. Je sèche subrepticement les traîtres larmes qui roulent lorsque retentit la première note chantée et jouée à l'unisson.
Ils se tiennent devant moi, le visage muré dans une concentration austère mais totale. Je ne peux m'empêcher de sourire béatement, de la première note jusqu'au dernier applaudissement. Je filme, je photographie, j'enregistre.
Ils sont loin. Qu'ils soient bons ou non est déjà une question qu'ils ne se posent plus. Ils sont tous là, ensemble. Il n'y a que cela qui compte.
C'est ce même sentiment qui m'empêche de quitter les lieux une demi heure après le concert. Je veux rester dans cette atmosphère magique et intemporelle. Glaner encore quelques minutes parmi eux, m'imprégner de leur gaieté, de leur joie de vivre. Parce que ce sont des troisièmes et que comme ils l'ont chanté dans la chanson choisie en remerciements, ils sont aussi là pour dire au revoir.
Le savent-ils ? Qu'ils nous laissent ce soir une partie d'eux-mêmes ? De la musique dans la tête et des souvenirs plein le coeur. Peut être sommes nous ainsi parés pour les adieux : nous retenons un fragment de leur enfance et, dans leur mue, nous écartons à contre coeur les doigts pour les laisser filer.
La crise d'ado
Hier, un vent de rébellion a soufflé dans le collège. La crise d'ado. Je ne vois pas d'autre explication.
E. maugrée des insanités à la Vie Scolaire parce que la CPE lui a confisqué sa casquette. Un grand classique mais E. est prêt à, je cite, "tout défoncer quitte à [s]e faire exclure du collège". En plus, sa casquette, il l'avait même pas sur la tête. Même pas.
A côté d'E., C. martèle la plainte de son copain de galère en donnant des coups de pied avec la régularité d'un métronome sur un placard du couloir, en fer de préférence. Sa raison ? Elle attend la CPE, comme entre chaque heure qui passe et qui lui a valu un rapport qui donnait quelque chose comme "Il faut en finir avec les comportements de diva". J'avais approuvé la justesse du mot.
Un peu plus loin, un autre 3ème attend la CPE en tournant devant sa porte comme un lion en cage. Il veut récupérer ses biscuits pour le voyage scolaire dans son bureau fermé à clé. Maintenant. Pas à la récréation, pas à la sortie ou pendant une heure de permanence, non. A 14h30, en plein milieu de son cours d'anglais, donc.
Arrive alors L., autre élève de 3ème que j'avais l'an dernier, qui appuie sur la poignée de la vie scolaire avec brutalité, les sourcils joints. Ce qu'elle veut ? Faire son heure de retenue MAINTENANT, parce qu'elle a une heure de trou. J'observe avec inquiétude la surveillante qui lui répond. C'est non. Ouf. Elle repart plutôt en colère. (C'est un euphémisme)
Quand je pose enfin le pied en salle des professeurs, je reçois sur pronote le rapport du prof principal d'une de mes 3ème sur L. Elle a éclaté à la fin de son cours parce qu'il ne voulait pas lui rendre son téléphone qui a sonné en classe. Mais comme il ignore vraisemblablement que sans son portable, elle "ne peu[t] pas vivre" (sic), elle a décidé qu'elle allait bien lui montrer comment elle allait se comporter s'il ne lui rendait pas !
Et vous savez le pire ? On les emmène tous en Angleterre. Demain.
Le premier degré
Pour rire, j'ai dit à un élève de "mourir en silence". Ça fait cinq minutes qu'il ne bouge plus...
Que retiennent-ils ?
Midi, il reste 25 minutes de cours. Y, cet élève qui écoute à peine en classe et s'amuse sans relâche :
Y : Madame, on peut apporter des gâteaux en cours la prochaine fois ? J'ai troooop faim !
Moi : Non, on ne mange pas en classe, on souffre en silence. C'est le règlement !
Y, avec une intensité très théâtrale dans la voix : Les lois sont injustes !!! Moi, je ne veux pas obéir !
Il me regarde, avec un sourire satisfait : je crois qu'il a compris le message d'Antigone. Et il sait que je sais.
Cet élève qui voulait bien faire
Hier, quelques jours après le gros savon passé à une de mes classes de 3ème (suite à leur désastreux conseil de classe), E. vient me voir avec une lettre de motivation à la main.
La motivation, c'est pourtant clairement ce qui lui manque, à E. Pas faute d'essayer régulièrement de raccrocher les wagons. Et d'arrêter d'essayer aussi régulièrement.
Mais là, il voulait que "je l'aide", parce que je suis prof de français, et que les lettres, c'est forcément mon truc. Je lui dis oui et on se fixe une heure pour mettre ça au propre.
Aujourd'hui, il passe un nez dans ma salle :
- Je vous ai pas vue hier madame !
- J'étais pourtant en salle des profs...
- Ah mais je vous ai cherchée ici moi !
- Bon, pas grave, elle doit être finie pour quand cette lettre ?
- Ben en fait je l'ai envoyée il y a déjà trois jours...
- Mais alors pourquoi tu veux qu'on la corrige ? (là, j'avoue, j'ai beau chercher, je ne comprends pas)
- Euh... parce que ma tante elle a dit que c'était important de la faire corriger. Alors je suis venu.
A ce moment-là, je n'ai pas trop su que dire. Mais c'est E. Alors j'ai souri et je lui ai dit : "Évidemment, on va la corriger cette lettre. Ça peut toujours servir." Parce que je soupçonne E d'avoir besoin d'un peu de réconfort grammatical et syntaxique, rien que pour lui, parce qu'il le vaut bien.
Et vous savez quoi ? Ça m'enchante littéralement.